Changer la ou de Constitution : des mots et des maux
CHANGER LA OU DE CONSTITUTION : des mots et des maux
Stéphane Bolle
Maître de conférences HDR en droit public
Université Paul Valéry - Montpellier 3
Chercheur au LAM/CERDRADI
« Mon pays va mal. C’est la faute à la Constitution ». Tel est le leitmotiv-type du Président en Afrique francophone qui, 56 ans après l’indépendance, entreprend de faire changer la Constitution – de la réviser - ou de faire changer de Constitution – de la remplacer. Comme si d’autres mots pouvaient remédier à tous les maux. Comme si la Constitution à changer était la mère de tous les vices, et la Constitution changée pouvait être la mère de toutes les vertus.
Cette doxa du changement, voire du changement pour le changement, n’est pas seulement professée par des présidents réformateurs en quête de la « bonne » Constitution ou des « princes-présidents » en quête de la Constitution « sur-mesure ». Elle a de très nombreux adeptes dans la classe politique et dans toutes les couches de la société civile, qui aspirent à une « Constitution plus crédible et plus réaliste que vont s’approprier les peuples d’Afrique » (Evariste Boshab, Entre la révision de la Constitution et l’inanition de la Nation, Larcier, 2013, p. 397). Mais les coreligionnaires s’affrontent sur la voie du changement et sur son contenu, chaque fois qu’un projet voit le jour : le porteur est toujours soupçonné, à tort ou à raison, des pires desseins ; les opposants le combattent sans merci, à coup d’arguments ou d’arguties sur la légitimité et la légalité du changement annoncé, tantôt pour conserver en l’état l’ordre constitutionnel, tantôt pour prôner un nouvel ordre constitutionnel.
Cette « guerre de religion » sévit partout en Afrique. La Constitution – et singulièrement la Constitution politique – est dans la région « un chantier jamais clos, la cause de tous les maux et le réservoir de toutes les espérances. La Constitution en vigueur [est] exécrable, mais une autre, agencée finement, [sera] la thérapeutique nécessaire et suffisante. Idée fort peu naturelle, issue d'une vision largement magique du monde, mais consolante par son volontarisme ingénu: une bonne constitution permettra une bonne politique, dans laquelle toutes les tragédies, problèmes et embêtements seront solubles » (Jean-Marie Denquin, La monarchie aléatoire, PUF, 2001, p. 9).
Sur le chantier du changement de la Constitution ou de Constitution, le Président de la République apparaît comme le maître d’œuvre. C’est lui qui choisit et engage, directement et/ou par ses partisans, le processus de « déconstruction-reconstruction » de la Constitution. C’est lui qui prescrit et défend, directement et/ou par ses partisans, des remèdes aux maux constitutionnels. Plus ou moins précise et orthodoxe – révision de la Constitution ou nouvelle Constitution ? -, son « ordonnance constitutionnelle » envahit toujours, empoisonne parfois, l’agenda politique.
C’est à la lumière de ces considérations d’ordre général qu’il convient de lire et de commenter les extraits ci-dessous de discours présidentiels récents.*
Discours d’investiture de Marc Christian KABORE, Président du Faso (29 décembre 2015)
Excellences, Messieurs les chefs d’Etat
Distingués représentants des chefs d’Etat et de Gouvernement
Excellence, Monsieur le Président du Conseil national de la Transition
Monsieur le Président du Conseil constitutionnel
Mesdames et Messieurs les Présidents d’Institution
Messieurs les Anciens chefs d’Etat
Mesdames et Messieurs les chefs de délégation étrangère
Excellences, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs et chefs de mission diplomatique
Distinguées personnalités
Honorables invités
Mesdames et Messieurs les candidats à l’élection présidentielle
Peuple combattant du Burkina Faso
La solennité de la présente cérémonie rajoute à la charge émotionnelle qui l’enveloppe, faisant de chacune et de chacun de nous, qui un acteur, qui un témoin privilégié, ou les deux à la fois, de la glorieuse page de l’histoire récente de notre Peuple que nous sommes en train d’écrire.
Permettez-moi, à l’entame de mon discours, d’exprimer ma gratitude et celle du Peuple burkinabè à toutes les éminentes personnalités qui, par leur présence honorent cette cérémonie et en rehaussent l’éclat.
Au moment où notre vaillant Peuple ferme la parenthèse de la Transition, pour s’engager résolument dans l’Etat de droit, en vue d’assurer une gouvernance vertueuse des affaires publiques, je voudrais tout d’abord lui rendre un hommage mérité.
A tous les valeureux fils et filles de notre chère nation, intrépides combattants de la liberté, de la démocratie et de la justice qui, ces dernières années, ont payé de leur vie notamment lors de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 et du coup d’Etat des 16-17 septembre 2015, la Nation est reconnaissante.
[…]
Mesdames et Messieurs
Le retour à l’intégrité que je me suis engagé à réaliser dans le cadre de mon programme pour le quinquennat 2015-2020 sera pour chacun de nous une triple exigence :
- Une exigence d’amour pour la patrie, dont nous devons défendre constamment les intérêts supérieurs ;
- Une exigence de dévouement au travail pour notre pays, au service duquel nous devons mettre tous nos talents et intelligences ;
- Une exigence de probité et de bonne gouvernance dans tout ce que nous faisons, pour ne pas se servir du pays mais pour le servir de manière désintéressée.
C’est donc à un véritable changement de mentalité et de comportement que je convie les Burkinabè, car les chantiers qui nous attendent sont titanesques :
- Réformer les Institutions et moderniser l’administration pour plus de justice sociale, de démocratie et de liberté ;
- Mettre en place un nouveau modèle de développement centré sur le renforcement du capital humain ;
- Promouvoir et vulgariser les technologies de l’information et de la communication ;
Dynamiser les secteurs porteurs pour l’économie et les emplois, en faisant du secteur privé un acteur important ;
- Réaliser un meilleur partage des fruits de la croissance à travers un nouveau contrat social.
Comme j’ai eu l’occasion de le rappeler à plusieurs reprises, la IVe République a vécu. Dès lors, mon engagement de passer à la discussion et l’adoption de la Constitution de la Ve République pour mieux réformer les institutions et engager la modernisation indispensable de l’administration reste au cœur de ces reformes à faire. *
Discours de Patrice Talon, Président de la République du Bénin, pour la fête de l’indépendance (31 juillet 2016)
Béninoises ! Béninois ! Chers compatriotes,
Notre pays va commémorer demain pour la 56ème fois son accession à la souveraineté internationale. Au-delà de la fête que justifie la conscience de liberté, l’occasion nous est à nouveau donnée de faire le bilan d’un parcours collectif de plus d’un demi-siècle et de fixer le cap pour les années à venir.
À ce propos, je dois d’abord souligner les progrès accomplis sur le chantier de l’unité nationale qui nous donnent à tous la fierté d’appartenir à une nation, toujours en construction certes, mais libre, responsable et mûre.
Pour nous aujourd’hui et pour les générations futures, la tâche sera de travailler à consolider, chaque jour davantage, cette union de toutes les filles et de tous les fils de ce pays.
Il devra en être de même pour l’amour de la patrie qui est le ferment de l’unité nationale.
Je dois ensuite faire avec vous le constat de ce que, en 56 ans, notre pays n’a pas beaucoup avancé sur le chemin du développement économique et social.
[…]
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