Le Premier ministre Chef du Gouvernement dans la Constitution guinéenne de 2010
Précisions : Cette analyse concerne principalement le statut du Premier ministre au sein de l’exécutif. Une autre analyse sera consacrée au Premier ministre dans ses rapports avec les autres acteurs de la vie publique, et notamment le Parlement, les partis politiques et partenaires sociaux.
Introduction
Indépendante depuis bientôt 56 ans, la République de Guinée a connu une douzaine de Premier ministres : un (01) pendant la première République, huit (08) pendant la seconde, deux (02) pendant la transition, et un (01) depuis le début de la troisième République. Le poste de Premier ministre n’est donc pas une nouveauté dans l’organisation institutionnelle guinéenne. Pourtant, la Constitutionnalisation en 2010 du poste de Premier ministre a été l’occasion pour bon nombre d’analystes guinéens de présenter, à bien des égards, cette institutionnalisation comme étant une réelle avancée par rapport aux deux précédentes Républiques.
Qu’en est-il réellement?
Pour comprendre la portée de cette institutionnalisation à l’allure de rupture, il importe de confronter le statut actuel du Premier ministre tel qu’il résulte de la Constitution du 7 mai 2010, à la pratique observée dans l’histoire constitutionnelle de la Guinée.
Pour ce faire, il est utile de commencer par une brève analyse de l’évolution du poste pendant les deux premières Républiques. Celle-ci permet de constater dans un premier temps, que le poste ne bénéficiait sous la première République d’aucune consécration constitutionnelle expresse, sans doute pour laisser l’entière maitrise de l’exécutif à un président aux pouvoirs personnels très étendus. Pouvoirs parmi lesquels figurait justement celui d’animer l’action gouvernementale : article 40 de la Loi fondamentale de 1990 révisée en 2002. L’article 40 disposait de façon laconique que « (…) Le président de la République dirige l’administration ». Sous la première République, le poste fût consacré lors de la révision constitutionnelle de 1982 instituant le parti Etat. L'article 57 de la loi constitutionnelle du 14 mai 1982 mentionne le PM comme faisant partie de l'équipe Gouvernementale. L'article 21 de la Constitution du 10 novembre 1958 disposait quant à elle que « le pouvoir du Gouvernement de la République est exercé par le président de la République assisté d'un cabinet ».
L’analyse permet dans un second temps de démontrer que les nominations (non prévues par la Constitution) se sont effectuées à travers un mécanisme très répandu en droit : la délégation de pouvoir. En effet, l’article 30 de la Constitution de la première République disposait « qu’en cas de nécessité le président de la république peut déléguer ses pouvoirs à un ministre ». L’article 39 de la Loi fondamentale consacrait quant à lui la délégation en ces termes « (…) le président de la République nomme les ministres. (…)Il fixe par décret les attributions de chaque ministre. Il peut lui déléguer une partie de ses fonctions ».
L’on comprend alors, que sans être expressément prévues, ces nominations pouvaient être considérées d’un point de vue juridique comme étant permises. Surtout qu’en plus du pouvoir de délégation, le Chef de l’État disposait d’une liberté pour déterminer en toute indépendance la structure gouvernementale qu’il était censé animer. Les deux pouvoirs combinés, il lui était dès lors possible de créer un poste de Premier ministre, et de déléguer au titulaire du poste une partie de ses pouvoirs. C’est en-tout-cas la position de la jurisprudence notamment africaine, la Décision de la Cour constitutionnelle du Bénin du 26 avril 1996 (DCC 96-020 du 26 avril 1996) dans laquelle la Cour reconnait la conformité d’une telle pratique à la Constitution béninoise, qui non plus ne prévoyait le poste de Premier ministre expressément peut être donné comme exemple.
Le Chef de l’État de la seconde République était donc en droit de créer le poste et de nommer la personne voulue, mais également libre de révoquer cette dernière et de supprimer le poste à tout moment. Ainsi, le Premier ministre n’avait de légitimité que celle conférée par le Chef de l’État.
Quid donc de la nomination manifestement contrainte en 2007 de Lansana Kouyaté ?
Nous avons démontré dessus, qu’en vertu des Constitutions antérieures (en l’espèce la Loi fondamentale de 1990), le Chef de l’État avait entière liberté quant à l’existence du poste de Premier ministre. Or, pour la première fois en 2007 le président de la République, dans un contexte de crise générale, a été contraint par les forces vives, la pression populaire, et dans certaines mesures la CEDEAO de (i) nommer par décret présidentiel le 26 février 2007 Monsieur Kouyaté au poste de Premier ministre, de (ii) lui déléguer l’essentiel des pouvoirs que lui confère la Constitution, et (iii) d’en faire le Chef de gouvernement. Une première en République de Guinée. Mais, est ce que les modalités de cette nomination étaient conformes à la Loi fondamentale de l’époque ?
Il est possible d’en douter. La Constitution de l’époque était à cet effet claire. L’article 9 disposait que « le Président de la République nomme les ministres qui l'assistent et qui ne sont responsables que devant lui. Il peut les révoquer. Il fixe par décret les attributions de chaque ministre. Il peut lui déléguer une partie de ses pouvoirs ». Partant, toute nomination contrainte pouvait être interprétée juridiquement comme étant problématique, d’autant plus que, l’importance des pouvoirs cédés au profit du Premier ministre avait engendré deux conséquences majeures sur le fonctionnement des institutions : i) la remise en cause de certains pouvoirs pourtant intrinsèquement liés aux autres pouvoirs du président de la République (constitution du gouvernement, direction de l’administration, détermination et conduite de la politique de la nation, etc.) ; ii) la complication dangereuse du fonctionnement de l’exécutif qui résultait de cette nomination. En effet, cette nomination a rendu illisible l’exécutif, car en droit celui-ci était incarné par le Chef de l’État, mais dans les faits, il se caractérisait désormais par deux têtes, sans que les pouvoirs, les rôles, et les limites de chacun ne soient dûment précisés. C’est d’ailleurs cette absence de cohérence entre la pratique et la Constitution notamment, qui permit au président de limoger Monsieur Kouyaté par décret présidentiel du 20 mai 2008 marquant ainsi le retour à la situation antérieure à 2007.
Cependant, l’expérience de 2007 a permit de convaincre les plus sceptiques de la nécessité de créer un poste de Premier ministre, et de lui offrir les garanties constitutionnelles nécessaires à l’exercice de sa fonction. C’est ce double objectif que les constituants ont voulu traduire dans la Constitution de 2010., dont le sous-titre II du titre III de la Constitution (articles 52 à 58) est entièrement consacré au poste de Premier ministre. L’article 52 alinéa 2 de la Constitution dispose à titre d’exemple « le Premier ministre, Chef du gouvernement est nommé par le président de la République….. ».
Cela dit, la constitutionnalisation « acquise », le juriste s’intéressera aux moyens (notamment juridiques) dont dispose le Premier ministre pour exercer sa mission. Autrement dit, au-delà de la constitutionnalisation du poste, quels sont les moyens dont dispose le Premier ministre pour exercer sa mission désormais constitutionnelle ?
Avant toute analyse des attributions du Premier ministre au sein de l’exécutif (II) il nous parait nécessaire d’analyser la fonction du Premier ministre Chef du gouvernement (I).
I- Analyse de la fonction du Premier Ministre chef de gouvernement au sein de l’exécutif
L’article 52 de la Constitution dispose en substance que la nomination et la révocation du Premier ministre relèvent entièrement du président de la République. D’entrée, on peut se demander si la constitutionnalisation a réellement changé la pratique antérieure ?
Pour répondre à cette interrogation, nous allons apprécier les éléments qui déterminent le poste de Premier ministre à savoir l’existence du poste (A), et le choix de la personne (B).
A- La consécration constitutionnelle du poste de Premier ministre chef de gouvernement
Plusieurs dispositions de la Constitution du 7 mai 2010 consacrent expressément le poste. La consécration la plus importante du poste découle de l’article 52 précité « Le Premier ministre est nommé par le président de la République…». Il résulte de cette disposition, que le pouvoir discrétionnaire de nomination d’un Premier ministre dans les deux premières Républiques, est à présent une obligation constitutionnelle qui pèse sur le chef de l’État. Cela étant, juridiquement, il ne serait donc plus possible d’avoir un exécutif sans Premier ministre. C’est l’interprétation qui semble à nos yeux celle qui correspond le plus à l’esprit de la Constitution, ainsi que le témoigne la formulation utilisée.
La nomination d’un Premier ministre étant ainsi obligatoire, il peut toutefois exister une inquiétude quant aux modalités de cette nomination. S’agissant du délai par exemple, la Constitution ne comporte aucune disposition afférente. Serait t-il possible alors qu’un président de la République exploite cette éventuelle faille ? A juste titre, il est possible d’affirmer par la négative, l’absence de délai n’a que peu d’incidence sur la procédure de nomination. En effet, l’article 53 de la Constitution dispose que « le Premier ministre propose au président de la République la structure et la composition du gouvernement. Le président de la République nomme les ministres et met fin à leur fonction, après consultation du Premier ministre….. ». Il apparait ainsi que le Premier ministre doit être personnellement impliqué dans la constitution du gouvernement, dont il est obligatoirement l’initiateur. Ainsi, la constitution d’une équipe gouvernementale étant indispensable pour gouverner, le chef de l’État aura tout intérêt à nommer un Premier ministre dans les plus brefs délais.
Quelle est cependant la portée de ce pouvoir de proposition reconnue au Premier ministre ?
Il est clair que, constitutionnellement le chef de l’État ne peut nommer un gouvernement sans le Premier ministre. Cela signifie t-il pour autant qu’il est tenu par les propositions de ce dernier ? L’analyse de la Constitution permet de répondre par la négative là aussi, le chef de l’État est libre d’entériner les propositions ou ne pas les entériner. Qu’adviendrait alors, si le chef de l’État passe outre les propositions du Premier ministre pour nommer un gouvernement qu’il aurait constitué lui-même ? Que pourrait faire le Premier ministre dans ce cas ? La Constitution ne traite pas ce cas de figure, mais l’analyse de ses dispositions permet d’affirmer que le Premier ministre n’a aucun pouvoir dans de tels cas, sauf celui de démissionner. C’est d’ailleurs cette raison qui amène dans la pratique, le Premier ministre à retranscrire les instructions du Chef de l’État et fait d’elles siennes. Ainsi, dans les faits c’est le président de la République qui détermine la structure et compose le gouvernement.
Sur ce point, et sur bien d’autres que nous verrons ultérieurement, il est regrettable de constater une ambivalence dans l’approche des constituants qui, selon notre opinion, se sont arrêtés à mi-chemin : d’une part, ils ont consacré le poste de Premier ministre chef de gouvernement, lui ont confié plusieurs rôles dont la proposition de la structure et la composition du gouvernement, mais d’autre part, l’ont confiné dans un registre qui a pour conséquence son « inféodation » au chef de l’État.
Dès lors, la consécration constitutionnelle du poste importe peu, dans la mesure où l’objectif principal de sa constitutionnalisation n’est pas atteint. Le Premier ministre continue à être entièrement dépendant du chef de l’État. Il n’est en mesure de prendre aucune décision qui ne soit celle voulue par le chef de l’État. Tout différend entre les deux ne pourra se conclure que par le remplacement du chef de gouvernement.
Cet état de fait n’est pas en conformité avec ce que le peuple a voulu et obtenu au moment de la crise de 2007, qui rappelons-le, est la principale inspiration de cette constitutionnalisation. En effet, une lecture de la lettre de mission qui avait été assignée au Premier ministre Kouyaté, permet de comprendre que le peuple voulait un Premier ministre qui détermine et conduit la politique de la nation, sur qui le président de la République aurait peu ou pas d’influence ; un Premier ministre qui ne se contente pas simplement d’exécuter la volonté présidentielle. Ainsi, si l’échec de 2007 a servi à constitutionnaliser le poste, sur le fond la volonté du peuple ne nous semble pas avoir été traduite dans la Constitution.
Il est vrai en revanche, que traduire une telle volonté aurait eu pour conséquence un changement profond de la nature du régime guinéen, qui serait devenu ce qui convient d’appeler un régime semi présidentiel à l’image du Sénégal, ou encore de la France. Dans ces pays où le chef de gouvernement ne dépend pas exclusivement du président de la République, il peut jouer un rôle très important surtout en période de cohabitation. En effet, il est prévu dans ces pays que le Parlement puisse renverser le gouvernement par des procédures particulières, dont la motion de censure ou le vote contre la question de confiance que peut poser le chef de gouvernement (article 86 de la Constitution sénégalaise de 2001 et 49 de la Constitution française de 1958). Un tel dispositif est contraignant pour le chef de gouvernement certes, mais il lui est aussi bénéfique dans la mesure où il dispose d’une légitimité autre que celle que lui confère l’onction présidentielle, c’est la légitimité d’appui. La particularité d’un tel système est que dans bien des cas le chef de l’État a le pouvoir de démettre le chef de gouvernement (en France, le président ne peut pas juridiquement révoquer le Premier ministre, qui seul peut présenter la démission du gouvernement). Pourtant, il s’abstient de le faire lorsque celui-ci est soutenu par les députés, dans la mesure où ces derniers pourront toujours s’ils désapprouvent la révocation d’un Premier ministre renverser son, voir ses remplaçants via la motion de censure.
B - La liberté du chef de l’État dans le choix du Premier ministre
L’article 52 précité ne fournit pas de détails sur le choix de la personne, il dispose simplement que le Premier ministre est nommé par le président de la République. En principe, le choix de la personne n’est ainsi soumis à aucune exigence (ni d’âge, encore moins de nationalité). Le président peut d’un point de vue juridique nommer tout guinéen, mais il peut aussi nommer des étrangers.
Cela dit, ce choix bien que juridiquement libre mérite d’être nuancé par les réalités liées à l’exercice du pouvoir. L’expérience a montré que le choix de la personne du Premier ministre, varie selon que l’on est en présence d’un régime parlementaire, d’un régime semi présidentiel, d’un régime présidentiel, ou encore d’un régime hyper présidentiel. Dans le cas de la Guinée (qui est un régime hyper présidentiel), le poste de Premier ministre est généralement attribué par le chef de l’État sur fond de calculs politiques (exception des nominations réalisées suite à une pression interne Kouyaté ou externe Sidya Touré en 1996).
De même, s’agissant de la révocation du Premier ministre, la liberté présidentielle demeure également entière. Ainsi, comme nous l’avons déjà démontré, juridiquement, seul le président de la République est en droit de révoquer le Premier ministre (la seule obligation juridique qui pèse à présent sur lui est de procéder à une nouvelle nomination aux fins de pouvoir constituer un nouveau gouvernement). Cette exclusivité s’explique par la nature du régime guinéen qui (comme dit dessus) ne prévoit pas une responsabilité du gouvernement à l’égard du parlement. Ainsi, la démission du gouvernement réclamée par le chef de l’État au prétexte qu’il y’avait eu des élections législatives (décembre 2013) ne reposait sur aucune exigence constitutionnelle, d’autant plus que les élections avaient permis au parti présidentiel de bénéficier d’une majorité relative. De plus, étant entendu que le Parlement guinéen ne peut en aucune manière renverser le gouvernement, la survie de celui-ci ne dépend pas de la confiance dont il bénéficie au Parlement.
La situation aurait pu être différente si les élections avaient permis l’élection au Parlement d’une majorité de députés appartenant à l’opposition. Dans ce cas, une démission du gouvernement aurait pu être justifiée par la nécessité de constituer un gouvernement susceptible de rassembler les parties à l’Assemblée, afin d’éviter le blocage entre un exécutif se réclamant de la majorité présidentielle et une opposition majoritaire au Parlement. Même dans un tel cas, la démission ne sera pas obligatoire et le chef de l’État pourra légitimement décider de conserver le même gouvernement, quitte à être confronté continuellement au blocage à l’Assemblée.
Il est à noter que cette situation n’est pas à exclure au vu du calendrier électoral guinéen. En effet, il est bien possible, en cas d’alternance en 2015, que le parti qui arrive au pouvoir n’ait pas la majorité au Parlement, étant entendu que celle-ci est actuellement détenue par l’actuel parti au pouvoir, parti dont les députés sont élus en décembre 2013 pour cinq ans, c’est à dire jusqu’en décembre 2018. Comment fera dans ce cas le nouveau président et son gouvernement pour faire voter ses projets de loi ? Quels seront les rapports entre l’exécutif et l’Assemblée nationale ? Surtout que (en raison du délai imposé de trois ans de législature minimum pour que la dissolution soit possible, en l’espèce il s’agira de décembre 2016), le président ne pourra pas faire usage de l’article 92 de la Constitution, qui lui permet de dissoudre l’Assemblée lorsqu’il y’a un désaccord persistant entre le chef de l’État et l’Assemblée nationale sur une question fondamentale.
Quelle sera donc la solution pour le président qui n’a pas une majorité à l’Assemblée nationale ? Devra t-il se résoudre à nommer un chef de gouvernement de l’opposition (ou du moins accepté par cette dernière) au risque de se retrouver dans une situation encore plus débilitante, ou attendre que la dissolution soit possible pour en faire usage ?
Même dans l’hypothèse où la dissolution deviendra possible (en décembre 2016 pour l’actuelle législature), le chef de l’État risquera-t-il une dissolution tout en sachant que si les élections qui ont eu lieu soixante jours après celle-ci, renvoient à l’Assemblée nationale une majorité favorable à la question ayant fait l’objet de la dissolution, le président devra démissionner (article 92 de la Constitution) ?
Rien n’est moins sûr, et en tout état de cause, toutes ces questions mériteraient d’être traitées avant qu’un tel cas de figure ne se produise dans la pratique, ce qui pourrait avoir des conséquences non négligeables sur le fonctionnement des institutions.
En définitive, le président de la République n’a plus le choix quant à l’existence du poste de Premier ministre dans la structure gouvernementale, mais il continue de bénéficier d’une entière liberté quant au choix de la personne, et la durabilité de celle - ci au poste de Premier ministre
II- Les attributions du Premier ministre chef du gouvernement au sein de l’exécutif
La constitutionnalisation du poste de Premier ministre a eu pour autres conséquences, la reconnaissance au profit de ce dernier d’un certain nombre d’attributions. Ainsi, l’article 52 alinéa 2 de la Constitution parlant du Premier ministre dispose : « Il est chargé de diriger, de contrôler, de coordonner et d’impulser l’action du gouvernement. ». L’article 58 lui précise que « Le Premier ministre dispose de l’administration et nomme à tous les emplois civils, excepté ceux réservés au président de la République. Il assure l’exécution des lois et des décisions de justice ; à cet effet, il dispose du pouvoir réglementaire, sous réserve des dispositions de l’article 46 et 49 de la Constitution (…)».
Nonobstant la rédaction quelque peu maladroite de l’alinéa 2 de l’article 52, ces deux articles donnent une idée du rôle qu’est censé dorénavant jouer le Premier ministre. Ils contiennent l’ossature des compétences du Premier ministre au sein de l’exécutif : exécution de la loi et des décisions de justice (A), pouvoir de nomination et direction du gouvernement (B).
A- Assurer l’exécution des lois et des décisions de justice
Cette compétence constitutionnelle est une obligation qui pèse sur le Premier ministre en vertu de l’alinéa 2 de l’article 58 précité. Elle suppose qu’une fois la loi promulguée par le président de la République (article 78 C) après son adoption par l’Assemblée nationale (article 72 C), le Premier ministre doit prendre les dispositions nécessaires afin que celle-ci soit effective. Pour y parvenir, il dispose de quelques moyens, dont le plus important est le pouvoir réglementaire que lui reconnait la Constitution.
Partagé entre le Premier ministre et le président de la République par la Constitution (articles 46 ; 49 ; et 58), le pouvoir règlementaire est un outil juridique important pour le fonctionnement de l’appareil gouvernemental. Il implique pour l’essentiel à favoriser l’effectivité des dispositions législatives (l’on dit alors qu’il s’agit d’un règlement d’application) ; mais ils peuvent également dans de rares matières être autonomes, c’est à dire qu’ils ne postulent à l’application d’aucune loi.
Cela dit, il convient de préciser que le pouvoir règlementaire dont bénéficie le Premier ministre est un pouvoir d’exception s’exerçant sous réserve de celui du président (le président de la République étant le détenteur du pouvoir règlementaire de principe) et se limite comme précédemment énoncé à assurer l’exécution des lois et des décisions de justice (article 58 C).
Ainsi, textuellement le pouvoir règlementaire du Premier ministre semble résiduel, enfermé pour la plupart aux mesures d’application de la loi et à l’exécution des décisions de justice. Mais, à y regarder de près, ce dernier domaine ne semble pas si limité. En effet, il n’existe pas de limite quant à la nature des lois pour lesquelles le Premier ministre est compétent pour prendre des actes. Or, nous savons que le domaine de la loi est par définition toujours très vaste (voir l’article 72), et même lorsque l’on essaie de contenir la loi dans un domaine défini (au profit du règlement), elle finit toujours par s’émanciper. C’est actuellement le cas en France où le cantonnement textuel de la loi dans un domaine préalablement défini en 1958, n’a pas empêché dans la pratique que celle-ci s’étende dans des domaines qui textuellement relève du domaine règlementaire. Subséquemment, le Premier ministre guinéen dispose d’une compétence règlementaire très étendue.
Dès lors, on s’apperçoit que le pouvoir règlementaire du Premier minister peut être très étendu. Toutefois, il ne pourra exercer que dans la mesure où le président de la République lui laisse faire, sans quoi ce dernier pourra toujours les exercer indirectement en dictant ses volontés au Premier ministre qui ne pourra les refuser au risque d’être révoqué.
B - Pouvoir de nomination du Premier ministre et direction de l’action gouvernementale
L’alinéa 1er de l’article 58 de la Constitution dispose en somme, que le Premier ministre, à l’instar du président de la République dispose d’un pouvoir de nomination qui lui est propre. Juridiquement, cela implique que, seul le Premier ministre est en mesure de réaliser les nominations à certains postes. Cette attribution est significative d’autant plus que, contrairement au pouvoir règlementaire d’exception du Premier ministre, il est le détenteur à ce niveau d’une compétence de principe, et le président, d’une compétence d’exception. En effet l’alinéa 3 de l’article 46 de la Constitution dispose que : « (…) Il (le président de la République) nomme en conseil des ministres aux emplois civils dont la liste est fixée par une loi organique ». Il apparait ainsi, qu’au sens de cet alinéa, la compétence du président de la République est d’exception car elle ne peut concerner que les nominations qui seront listées dans la Loi organique prévue à cet effet.
Toutefois, cette répartition à première vue favorable au Premier ministre doit être relativisée dans la mesure où, c’est le contenu de la Loi organique qui déterminera les postes pour lesquels, le Premier ministre sera seul compétent pour exercer son pouvoir de nomination. C’est donc une compétence de principe dont l’importance n’est pas encore mesurable, en ce sens que la Loi organique prévue n’est pas encore adoptée. Néanmoins, il est possible au regard du fonctionnement actuel des institutions, d’affirmer que l’essentiel des postes important sera inséré dans la Loi organique. Dans ce cas, le Premier ministre aura une compétence de principe mais un pouvoir résiduel. Ce faisant, outre le problème que pose l’absence d’indépendance du Premier ministre vis-à-vis du président, le chef de gouvernement devra pour être le maitre de l’administration comme le prévoit la Constitution, se montrer à la fois stratège, ambitieux et pragmatique.
En définitive, la Constitution réalise sur ce point une avancée susceptible de servir le Premier ministre. Il revient à présent aux acteurs publics, et au Premier ministre en premier plan, de batailler pour rendre cette attribution effective. Un facteur joue en faveur du chef du gouvernement, il s’agit de la procédure d’adoption des lois organiques. La Constitution impose dans son article 83 un vote favorable des deux tiers des membres présents lors du vote. A titre d’exemple, pour qu’une loi organique soit adoptée, il faut, si les 114 députés sont présents, que 76 élus votent en faveur de la loi. Cela suppose une très large majorité, ou une large adhésion des parlementaires de l’opposition, les deux scénarios étant peu probables en l’état actuel de la composition du parlement guinéen. C’est peut être d’ailleurs l’une des raisons de l’inertie de l’exécutif qui n’a aucun moyen pour faire adopter par le Parlement une loi organique qui renforcerait ses pouvoirs.
S’agissant du pouvoir du Premier ministre dans la conduite de l’action gouvernementale, les constituants ont voulu consacrer en 2010 la mission du chef de gouvernement, au sens de l’article 52 précité « il est chargé de diriger, de contrôler, de coordonner et d’impulser l’action du gouvernement ». Il apparait ainsi que le chef de gouvernement a parmi ses missions la direction de l’activité gouvernementale dans la mise en œuvre de la politique de la nation que détermine le président de la République (article 45 de la Constitution).
Toutefois, cette consécration de la vocation du chef de gouvernement se heurte à la nature du régime guinéen. En effet, le chef d’État est la clef de voute des institutions, il reste le véritable maitre de l’action gouvernementale. Ses pouvoirs personnels sont si étendus qu’aucun Premier ministre ne peut exercer de façon indépendante ce rôle. Ce constat se vérifie à titre d’exemple par le pouvoir de révocation unilatérale et totalement discrétionnaire qu’a le chef de l’Etat à l’égard du Premier ministre, pouvoir qui lui permet de contenir les tentations éventuelles de ses Premiers ministres.
Si nous nous risquons à une extrapolation très imagée, et au risque de tomber dans la caricature, il est possible de comparer le pouvoir dont jouit le chef de gouvernement vis-à-vis de l’équipe gouvernementale à celui d’un capitaine dans une équipe de foot. Ce dernier a pour rôle de veiller à la cohésion au sein d’un groupe vis-à-vis duquel il n’a que peu de pouvoir, dont celui très limité de donner son simple avis aux dirigeants (entraineur notamment) qui, eux définissent les règles, le système du jeu et le rôle des joueurs.
Dès lors, il est possible d’affirmer que, si textuellement la direction de l’équipe gouvernementale est attribuée au Premier ministre, dans la pratique, ce dernier s’efface très souvent au profit du président de la République. Ainsi, cette consécration au profit du Premier ministre n’est à notre avis pas de nature en l’état actuel, à lui permettre d’avoir une maitrise de l’action gouvernementale. Au mieux il coordonne le travail du gouvernement de sorte à permettre la décision du chef de l’Etat.
Même dans ce cas là, l’exercice de cette mission de coordination se heurte souvent à la pratique. En effet, le Premier ministre est très souvent confronté à des résistances au sein même de l’équipe gouvernementale dont il est pourtant le chef. Il est fréquent que des ministres court-circuitent le Premier ministre et ses services pour interpeller, proposer, ou solliciter le président de la République pour tel ou tel arbitrage, alors même qu’il s’agit là d’une prérogative du chef de gouvernement. De même, il n’est un secret pour personne, qu’un certain nombre de ministres, de par leurs rapports personnels avec le chef de l’État, traitent directement certains dossiers sans que le Premier ministre ne soit impliqué. Ici aussi donc, la consécration même constitutionnelle se heurte à la dépendance entière et exclusive du Premier ministre au bon vouloir du Chef de l’État.
En conclusion, à notre sens, si la constitutionnalisation du poste a été une initiative salutaire, elle ne semble pourtant pas avoir changé foncièrement la pratique antérieure. Dès lors, il convient de poursuivre celle-ci en offrant une certaine liberté au Premier ministre, on pourrait par exemple limiter sa dépendance vis-à-vis du président de la République, l’impliquer dans la détermination de la politique de la nation. A défaut, c’est l’intérêt même du poste qui sera à chaque fois remis en cause. Tout ceci aura pour conséquence évidement une évolution du régime vers un système au sein duquel le président de la République ne sera plus ce monarque tout puissant. Mais, n’est-ce pas ce qu’a voulu le peuple en 2007 ?
Auteur : Cellou DIALLO
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