Dernière manifestation : que peut faire le parlement ?
Nous avons assisté médusés aux évènements des derniers jours qui ont coûté la vie à au moins 7 de nos compatriotes. Implorons la grâce divine pour ces âmes perdues. Au delà de la compassion très largement justifiée de la part de nos compatriotes, nombreux sont ceux qui ont appelé à une action de nos parlementaires pour que toute la lumière soit faite. J’ai décidé ainsi de faire un texte sur les pouvoirs de nos élus en cette matière. Il s’avère après une observation de nos textes et de la pratique institutionnelle, que les moyens notamment juridiques dont disposent nos élus sont pour l’instant essentiellement ineffectifs, et ceci pour diverses raisons.
Les moyens.
Les députés ont quelques moyens d’action tant individuels que collectifs.
Les moyens individuels
En tant qu’élu chaque député a le pouvoir, comme tout citoyen, de dénoncer. Il peut le faire à tout moment, pendant ou en dehors des sessions. Seul bémol, il s’agit d’un moyen dont les enjeux sont plus politiques que juridiques, aucune conséquence juridique véritable.
L’élu a aussi le pouvoir d’interroger n’importe quel ministre (article 89 de la Constitution guinéenne C.G). Pour cela il dispose de la question écrite qu’il peut adresser hors séance au Ministre via le président de l’Assemblée. Ce dernier est théoriquement obligé de la transmettre au président de la République (article 91 de l’actuel Règlement intérieur de l’Assemblée)[1]. Le ministre concerné dispose alors de quinze (15) jours pour répondre. Il faut préciser que la question écrite qui n’aurait pas fait l’objet d’une réponse au delà du délai prévu, se transforme automatiquement en question orale dont l’inscription à l’ordre du jour est décidée par la Conférence des présidents. Celle-ci peut aussi décider si la question fera l’objet d’un débat ou non. Dans le même ordre, l’élu dispose aussi de la procédure de la question orale. Elle lui permet, à l’occasion d’une séance de questions au Gouvernement, d’interpeller directement un membre du Gouvernement sur un sujet donné. Ce dernier doit répondre dans la foulée sauf pour motif valable (dossier classé secret défense par exemple). Précisons à cet effet que notre constitution prévoit dans son article 89 qu’« une séance par semaine est réservée, au cours de chaque session ordinaire, aux questions orales sans débat ». Cela revient à environ douze (12) séances par session ordinaire et vingt quatre (24) par an.
Précisons aussi que dans tous les cas les séances ne sont jamais sanctionnées par un vote, ceci pour éviter notamment que la légitimité d’un ministre soit atteinte par un vote négatif.
Les moyens collectifs
Les députés peuvent initier à travers l’une des commissions de l’Assemblée une résolution dont le vote pourrait permettre de créer une Commission d’enquête, laquelle aura pour mission de recueillir les éléments d'information en lien avec les faits pour soumettre les conclusions à l’Assemblée qui, seule, peut décider de la publication des conclusions du rapport. Toute publication isolée du contenu du rapport sans l’accord du parlement est répréhensible.
Aussi, selon l’article 88 CG, « les ministres peuvent être entendus à tout moment par l’Assemblée nationale et ses Commissions ».
L’ineffectivité des moyens
L’ensemble des moyens décrits ci dessus ne sont quasiment pas opérants. J’explique.
La procédure des questions.
La consécration constitutionnelle de ces moyens n’est pour l’instant pas efficace.
Relativement à la question écrite, il est à constater que si textuellement le ministre est obligé de répondre, dans les faits, l’absence de réponse est sans conséquence véritable pour lui. Il en appert au regard des textes que la seule conséquence est de lui dire : écoute mon gars on te posera la question alors lors d’une séance (chacun pensera ce qu’il veut mais moi je trouve cela pour le moins sympathique). Mais, accommodons nous et supposons que le ministre ne réponde pas[2] et la question écrite devient orale. Est ce que nous pouvons espérer un meilleur sort pour la question du député ?
Hélas non. Nous ne pouvons pas espérer mieux par la faute de nos élus députés. En effet, en méconnaissance de la disposition précitée de l’article 89 (Cf. questions orales), les séances de question au Gouvernement ne se tiennent quasiment jamais. Lorsqu’ils font beaucoup d’efforts, nos élus organisent une séance ou deux sur les vingt quatre (24) normalement prévues à l’année. Autant dire qu’il ne faut pas compter sur ce moyen pour inquiéter nos ministres. Chers honorables vous ne nous aidez pas sur ce coup, vous devez faire plus d’efforts car avec cette attitude vous paralysez deux outils de contrôle qui peuvent être utiles pour au moins la bonne information des citoyens.
La création d’une commission d’enquête.
Ce pouvoir constitutionnel est une arme redoutée par les Gouvernements dans de nombreux pays. Qu’en est il chez nous ?
Il ressort de l’article 39 dudit RI qui organise les Commissions d’enquête, que celles-ci sont avant tout temporaires, maximum quatre mois à compter de leur création, soit. Il ressort aussi (et c’est ce qui nous importe ici) que si le parlement détient le pouvoir de créer des Commission pour des fins d’enquête, il n’est pas totalement souverain en la matière. En effet, le même article limite la portée de ce pouvoir car il est dit qu’« il ne peut être créé de Commission d'enquête lorsque les faits ont donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours. Si une Commission a déjà été créée, sa mission prend fin dès l'ouverture d'une information judiciaire relative aux faits qui ont motivé sa création ». De cette disposition il en appert que, même si nos élus souhaitent créer une commission d’enquête pour ces douloureux évènements, ils se heurteront à cette incapacité car selon le Gouvernement une enquête judiciaire est déjà ouverte par le Ministère de la justice[4].
Dès lors, en définitive, il est possible de constater que par la faute de nos textes et de nos élus, il ne faut pas attendre énormément de notre parlement en l’espèce. Il ne nous reste donc plus que notre justice, dans l’espoir qu’elle se démarquera cette fois de ses habitudes.
L’espoir fait vivre dit on.
[1] Il faut préciser que, normalement, les échanges entre le Parlement et le Gouvernement se font à travers le Secrétariat général de l’Assemblée et celui du Gouvernement. Il peut arriver cependant que le Ministre en charge des relations avec le Parlement joue ce rôle de pont.
[2] Dans les faits il n’est pas vraiment obligé car aucune conséquence contraignante n’est prévue à son encontre.
[3] A l’évidence, nos élus ne sont pas capables de mettre leurs intérêts subjectifs de côté pour adopter le seul règlement intérieur, l’outil réputé indispensable pour le fonctionnement optimal de l’institution. En lieu et place nos élus s’accommodent avec un Règlement caduque, et cela ne gêne apparemment pas nos honorables.
[4] Communiqué du 21 février disponible sur le portail du Gouvernement http://www.gouvernement.gov.gn/index.php/2015-04-24-09-56-48/2015-10-13-13-07-27/item/3011-communique-du-gouvernement-du-mardi-21-fevrier-2017
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