La transparence de la vie publique en Afrique de l'Ouest : l'exemple de la République de Guinée
INTRODUCTION
Les dernières décennies ont été marquées par l’émergence de la notion de « transparence », qui selon le dictionnaire français le Robert implique « la qualité de ce qui laisse paraître la réalité ». Ignorée pendant longtemps au sein de la sphère publique où prévalait l’opacité, elle intègre désormais celle-ci et s’impose comme une exigence[1].
Or, dans plusieurs pays la transparence de la vie publique ne s’inscrit pas dans le mode de gouvernance traditionnel. Il en est ainsi de la République de Guinée. Ainsi, contrairement à certains pays (nordiques notamment), la transparence au sein de la vie publique guinéenne est à ses balbutiements.
L’analyse de la transparence au sein de la vie publique guinéenne révèle que les premières mesures en faveur de la transparence remontent essentiellement au début de la deuxième République[2]. Elle révèle également, que les mesures en faveur de la transparence résultent principalement de l’impulsion des partenaires internationaux, et accessoirement depuis peu des revendications internes des citoyens. Dans les deux cas, c’est à travers le concept de « bonne gouvernance » que la transparence intègre le droit positif guinéen.
La Constitution de la troisième République promulguée par décret[4] le 7 mai 2010 illustre bien cette réalité. En effet, pour promouvoir la bonne gouvernance, y figurent pour la première fois de nombreuses dispositions allant dans le sens de la transparence de la vie publique (voir en ce sens les articles 36 et 39).
Partant, s’il est possible d’affirmer (au vu des dispositions précitées) que la transparence s’installe progressivement au sein de la vie publique guinéenne, il convient de souligner aussitôt que cette dynamique est confrontée à un double défi. Il s’agit d’une part, de la nécessité d’améliorer l’arsenal juridique, et d’autre part d’assurer son effectivité.
En effet, l'expérience observée dans certains pays a montré que l'introduction de la transparence dans la vie publique engendre bien souvent quelques difficultés, et ce notamment en raison de la nécessaire dose de secret que doit comporter certains pans des activités poursuivies par le public. Cela fait que, pour être efficace, l'introduction de la transparence doit se faire en tenant compte de certaines altérités de la sphère publique. L’enjeu est de taille en ce sens que, toute la problématique que soulève la notion se trouve à ce niveau. Comment favoriser l'introduction efficace et efficiente de la notion de transparence dans la vie publique guinéenne tout en évitant les travers qui pourraient résulter des manquements observés ailleurs ?
Pour essayer d'apporter une réponse à cette question (sans prétendre à l'exhaustivité), le droit positif guinéen concernant la transparence au sein de la vie publique fera l'objet d'une analyse (I), et ce dans le but d'identifier quelques pistes de réflexion afin d’améliorer le fonctionnement du dispositif (II).
I- L’état actuel de la transparence dans la vie publique en République de Guinée
L’idée d’une transparence de la vie publique en République de Guinée, qui s’est manifestée au lendemain de la deuxième République, a permis l’adoption d’un certain nombre de normes juridiques (A), dont la mise en œuvre révèle toutefois quelques difficultés (B).
A- Le cadre juridique de la transparence au sein de la vie publique guinéenne
Le cadre juridique guinéen afférent à la transparence de la vie publique comporte une multitude de dispositions et structures, censées lutter contre la délinquance financière par la transparence au sein de la vie publique.
Au titre des dispositions, il faut d’emblée relever que celles-ci sont diverses et variées. Cela se justifie par le fait que le concept de bonne gouvernance à travers lequel les dispositions pénètrent le droit guinéen couvre plusieurs éléments. Parmi ces éléments figurent notamment la bonne gestion des finances publiques, qui elle même implique entre autres la lutte contre la corruption, contre les détournements, contre les conflits d’intérêt et le clientélisme, etc. Ce faisant, en République de Guinée, les dispositions favorables à la transparence au sein de la vie publique sont contenues dans divers textes juridiques, qui s’articulent généralement tous (comme nous allons le voir) au tour du concept de la bonne gouvernance ou de lutte contre la corruption.
Tout d’abord au niveau constitutionnel. C'est notamment le sens des articles 36 et 39. L’article 36 de la Constitution pose le principe de déclaration des biens à l’encontre de certaines Hautes Autorités. . Ainsi, depuis l’entrée en vigueur de la Constitution de 2010, un certain nombre de responsables publics sont soumis constitutionnellement à quelques règles favorables à la transparence de la vie publique. C’est le cas du président de la République, du président de l’Assemblée nationale, des Ministres, du Gouverneur de la Banque centrale, des responsables des régies financières de l’État, et de tous les premiers responsables des Institutions constitutionnelles[6]. Ces personnalités doivent ainsi remettre au président de la Cour constitutionnelle la déclaration écrite sur l’honneur de leurs biens avant et après leur fonction. La Constitution prévoit également la publication de ces déclarations au Journal Officiel[7].
L’article 39 quant à lui pose le principe de l’interdiction pour certaines Hautes Autorités et leurs proches de prendre part aux marchés publics et privés des organes de l’État ou ceux soumis à son contrôle[5]. La Constitution interdit ainsi au président de la République, à sa famille, aux ministres et aux présidents des institutions constitutionnelles, de prendre part même à travers autrui, aux marchés publics et privés de l’Etat ou des institutions qu’il contrôle. Elle précise également que l’acquisition par ces personnes des biens appartenant à l’État se fera selon des conditions préétablies[8].
Ensuite au niveau législatif, un certain nombre de dispositions législatives sont favorables à la transparence au sein de la vie publique en République de Guinée. Nous pouvons évoquer le Code des marchés publics issu de la Loi L97/N°016/AN du 3 juin 1997, qui dans son article 4 pose le principe selon lequel, toute dépense de fournitures, prestation de services, travaux ou marché industriels, d’un montant dépassant 100 millions de francs guinéens (environ 11000 euros), doit faire l’objet d’un marché public passé en vertu et selon les procédures établies par le code des marchés publics. Toute exception à ce principe dit l’article 5, doit être justifiée et motivée en constatation de faits majeurs liés à l’urgence, à la raison d’Etat ou autre. Le Code dispose également, que les procédures sont transparentes et doivent permettre la pluralité d’offres concurrentes et garantir l’égalité des candidats[9].
De même, il est possible de citer le Code minier guinéen tel qu’il a été révisé par la Loi L/2011/006/CNT du 9 septembre 2011. Pour prévenir les conflits d’intérêt, ledit Code comporte un article 8 qui interdit certaines activités à certains acteurs publics. C’est le cas des membres du gouvernement, des fonctionnaires du Ministère des Mines et de tout autre fonctionnaire censé jouer un rôle dans la gestion du secteur minier. Le Code prévoit également dans son article 30-IV, la publication des actes relatifs au permis d’exploitation dans le Journal Officiel et sur le site Internet officiel du Ministère en charge des Mines, ou tout autre site désigné par le Ministre.
Au titre des structures, l’arsenal juridique guinéen prévoit l’intervention d’un certain nombre d’institutions, pour garantir le bon fonctionnement du dispositif. Cette intervention est consacrée par les articles 36, 39 et 116[10] de la Constitution, et concerne la Cour constitutionnelle[11] en vertu des articles 36 et 39 et la Cour des comptes en vertu des articles 36 et 116[12].
L’intervention est aussi consacrée à un échelon plus bas. En effet, d’autres structures sont créées par voie règlementaire, elles jouent un rôle important en faveur de la transparence en œuvrant pour la moralisation de la vie publique. C’est le cas de l’Agence Nationale de Lutte contre la Corruption et de Moralisation des Activités Economiques et financières (ANLC), qui a été créée par l’Arrêté n°7137/MPCEF du 13 juillet 2004 du Ministre à la Présidence chargé du contrôle économique et financier. Cette agence à pour principale mission[13] la conception et la mise en œuvre de la politique du Gouvernement, en matière de promotion de la bonne gouvernance, et de la lutte contre la corruption et les pratiques assimilées[14].
Depuis le décret D/2012/132/PRG/SGG du 12 décembre 2012 l'ANLC est désormais rattachée à la Présidence de la République Guinéenne[15]. Elle est de par sa mission et sa place, une structure importante dans le dispositif institutionnel guinéen. Son champ d’action couvre à travers l’expression « pratiques assimilées » un domaine qui inclut plusieurs thématiques propres à la transparence, d’où l’intérêt qui est accordé à cette structure dans cette étude. Même si comme nous le verrons, elle est loin de répondre aux attentes en raison des problèmes structurels auxquels elle est confrontée.
B- La difficile mise en œuvre du dispositif juridique existant
La transparence au sein de la vie publique en République de Guinée est confrontée à un obstacle principal qui est celui lié à l’effectivité des normes édictées en faveur de la transparence. En effet, affirmer qu’un arsenal juridique existant ne trouve pas application sur le continent africain n’est plus une nouveauté. Il n’est pas rare que le décalage entre ce que disent les textes et ce que constitue la pratique soit très prononcé[16].
La République de Guinée connait ainsi en matière de transparence de la vie publique des difficultés liées à l'effectivité des règles. Bien que certaines dispositions soient récentes, un grand nombre d’entre elles ne sont pas effectives. Tel est le cas de l’article 36 de la Constitution qui consacre la déclaration des biens à l’encontre de certaines Autorités politiques notamment. En effet, il résulte de l'article constitutionnel précité (Article 36) que sous la troisième République les autorités susmentionnées (président de la République, président de l’Assemblée nationale, l’équipe gouvernementale, etc.), dervaient, conformément à l'article 36, procéder à la déclaration de leurs biens auprès de la Cour constitutionnelle (à noter que l'article 36 prévoit également la transmission des déclarations à la Cour des comptes et aux services fiscaux et leur publication au Journal Officiel). Or, pour des raisons que nous ignorons, il se trouve que cette exigence constitutionnelle n'a pas été observée pendant tout le premier mandat de la troisième République.
Le même constat est valable dans d’autres domaines. C'est le cas notamment en matière de marchés publics. La procédure de passation des marchés publics n’est pas souvent respectée dans ses dispositions, notamment en termes de respect des délais et des exigences pour qualifier un marché. En effet, alors que le code des marchés publics prévoit un délai minimum d’un mois entre l’ouverture d’un appel d’offre et la clôture des soumissions, il s'est développé des pratiques qui biaisent lcette exigence procédurale. Ainsi, un grand nombre d’avis d’appel d’offre transgresse cette règle sans que les justifications avancées ne puissent satisfaire les exigences légales pouvant justifer une telle dérogation. Le même constat est valable en matière de mode de passation des marchés. Alors que l'appel d'offre est le principe et les autres modes de passation (gré à gré, appel d'offre resttreint, etc.) l'exception, on assiste dans ce domaine à une inversion des prévisions de sorte à est ce que le gré à gré et l'appel d'offre restreint sont devenus quasiment la règle. Cette pratique est révélée très brillamment par CISSE Mamadou dans un article cité par l’ONG Open Society[17] ».
L’obstacle principal décrit dessus met en exergue par ailleurs la carence du cadre juridique et institutionnel actuel. En effet, bien que le dispositif juridique et institutionnel en faveur de la transparence ne soit pas pleinement effectif, il est possible néanmoins de constater dans certains domaines son imperfection. Au titre des imperfections, il est possible de relever la non mise en place des institutions dont la Constitution prévoit l’intervention (Cour constitutionnelle et Cour des comptes notamment) pour oeuvrer en faveur de la transparence[18]. La conséquence de cette carence est que les rôles qui devaient être assurés par ces institutions sont encore confiés à la Cour suprême, institution dont l’intégrité, la bonne foi, et l’indépendance sont très douteuses vis-à-vis des autorités que ciblent les dispositions constitutionnelles favorables à la transparence. Subséquemment, il peut être considéré que ce vide institutionnel empêche la pleine application.
L’autre obstacle est l’absence de stratégie nationale en faveur de la transparence. Les évolutions en faveur de la transparence au sein de la vie publique en République de Guinée ne s’inscrivent suffisamment dans une stratégie de politique générale. De plus, aucun mouvement d’ensemble n’est entreprit à échelle nationale pour corriger la disparité et le vide juridique actuels. L’ANLC dont c’est la mission[19], peine à faire adopter son projet de loi anticorruption et pratiques assimilées qu’elle prépare depuis 2004, date de sa création. Le projet a été plusieurs fois annoncé prêt pour adoption, mais il a été chaque fois reporté sine die[20]. Cet état de fait prive ainsi l’ANLC d’un cadre juridique approprié, et le contraint de surcroit à s’appuyer sur les dispositions largement désuètes du code pénal et de la procédure pénale, lesquelles ne lui reconnaissent aucun pouvoir de police judiciaire ou de poursuite[21].
Cette difficulté de faire adopter le projet de loi préparé par l'ANLC pose la question sur l'encrage institutionnel de l'institution. En effet, selon les textes (l’Arrêté de 2004 et le Décret du 12 décembre 2012), l’ANLC relève hiérarchiquement du président de la République[22]. Celui-ci détient un pouvoir de nomination, de révocation et d’instruction sur elle. Or, vu sous un autre angle, confier un tel pouvoir à une autorité susceptible d'être touchée (même indirectement) par le contrôle que va mener l'ANLC peut poser un problème dans la pratique en terme d'indépendance. Autrement dit, il pourrait être plus pertinent que l'ANLC, en vertu de sa mission, jouisse d’une suffisante indépendance (institutionnelle et financière) pour mener ses actions.
Un autre obstacle peut concerner encore l'article 36. En effet, les dispositions de l’article 36 de la Constitution[23] peuvent être vues comme étant partielles, en ce sens que, sans raison valable d’autres Hommes publics sont exclus du mécanisme. Il en est ainsi des élus (nationaux et locaux). Pourtant, au même titre que les personnalités visées par l’article 36 de la Constitution, ces élus peuvent dans la gestion ou l’usage de la chose publique se mettre dans des situations qui nécessitent un encadrement. A ce titre, la Loi organique L/91/014 du 23 Décembre 1991 relative aux conditions d’éligibilité, d’inéligibilité et aux incompatibilités visant les membres de l’Assemblée nationale mériterait d’être actualisée, afin que les députés élus récemment puissent travailler sans s’exposer à des situations de conflit d’intérêt notamment.
II- La nécessaire évolution pour une transparence de la vie publique plus optimale en République de Guinée
Le dispositif de la transparence au sein de la vie publique guinéenne doit nécessairement évoluer, d’autant plus que, dans les conditions actuelles il ne favorise pas l’état de droit qui implique entre autre le respect des textes (A). Cela dit, cette évolution doit être conduite de façon pédagogique et inclusive (B).
A- Améliorer le dispositif de la transparence : un impératif démocratique
Pour gagner en efficacité le dispositif afférent à la transparence de la vie publique en République de Guinée se doit d’être amélioré à plusieurs niveaux. Subséquemment, en s’inspirant des différents mécanismes en vigueur dans d’autres pays, nous recommandons entre autres :
Au plan institutionnel, la mise en place des Institutions constitutionnelles prévues pour garantir l’efficacité du dispositif. Cela dit, les créer ne suffit pas encore faut il qu’elles soient dotées de moyens suffisants. Dès lors, une fois mise en place, celles-ci devraient être dotées de moyens juridiques, humains et financiers suffisants, afin qu’elles puissent assurer pleinement les missions qui sont les leurs. Pour y parvenir, il est impératif que la dépendance de fait qui caractérise le dispositif institutionnel actuel soit rompue au sein des institutions à créer. Pour ce faire, une attention particulière devrait être accordée à la composition de ces juridictions. En effet, la pratique a révélé que le problème qui se pose, n’est souvent pas lié à la consécration textuelle de l’indépendance, car celle-ci est dans bien des cas garantie parfois au niveau constitutionnel.
Ainsi, les nouvelles institutions (plus particulièrement la Cour des comptes en raison de sa mission constitutionnelle de contrôle), devront reposer sur des hommes et femmes d’État qui sont des fervents défenseurs de la légalité, de l’intégrité, et de l’exemplarité. Les membres qui les composent doivent être non seulement compétents, mais faire également montre d’une bonne moralité et d’un attachement particulier aux valeurs républicaines. A ce titre, il faudra veiller à ce que la Loi organique prévue à l’article 116 pour l’organisation, le fonctionnement, la composition et le régime disciplinaire des membres de la Cour des comptes, aille dans un sens favorable à l’indépendance de cette institution.
Toujours au plan institutionnel, le statut de l’ANLC mériterait d’être revu. D’abord par rapport à l’indépendance de l’institution. En effet, il est nécessaire de consacrer l’indépendance de cette institution afin qu’elle puisse fonctionner de façon optimale. Il le faut d’autant plus, que son statut actuel est en contradiction avec les engagements internationaux de la Guinée[25]. En l’occurrence la Convention des Nations Unies contre la corruption du 31 octobre 2003, ratifiée par la Guinée le 29 mai 2013, ou encore la Convention de l’Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption. Les deux Conventions prévoient (article 6 pour la première et 5 pour la seconde) la création à échelle nationale d’un ou plusieurs organes indépendants pour lutter contre la corruption notamment au sein de la vie publique.
Ce problème pourrait être partiellement résolu si le projet de loi de l’ANLC arrivait à être adopté, puisque l’alinéa 1er de l’article 5 du projet dispose que, l’ANLC jouit d’une autonomie de gestion administrative et financière. Même si, le fait que l’alinéa suivant renvoie à un décret du président de la République, pour l’organisation et le fonctionnement de l’Agence peut être regrettable. Il aurait été préférable pour l’indépendance de la structure, que l’aspect organisationnel et le mécanisme de fonctionnement soient inclus dans le projet de loi, ou confiés aux membres de l’Agence afin que ceux-ci le fassent en toute indépendance.[26]
Ensuite, par rapport au pouvoir de l’ANLC, il conviendrait de consacrer à son profit, une capacité d’auto saisine, à défaut une capacité d’agir en justice. En effet, l’état actuel n’est favorable à aucune action émanant de l’ANLC, la seule alternative consiste à attirer l’attention de l’Agent judiciaire de l’Etat qui n’est pas obligé de donner suite. Son rôle se limite ainsi à un rôle de conseil, d’autant plus que ces agents sont dépourvus des pouvoirs de police judiciaire ou d’instruction judiciaire[27].
Là encore, l’adoption du projet de loi anti corruption pourrait résoudre le problème à minima, dès lors que, l’alinéa 1er de l’article 6 reconnait aux enquêteurs et inspecteurs de l’Agence, concurremment avec la police judiciaire, la possibilité de mettre en marche l’appareil judiciaire. L’article 7 lui confère le statut d’officier de police judiciaire aux enquêteurs et inspecteurs de l’Agence[28].
Toutefois, il convient de préciser que l’adoption du projet de loi en l’état ne garantie pas le bon fonctionnement du dispositif. Dans ce sens, l’alinéa 2 de l’article 6 du projet dispose que « l’ouverture d’une information judiciaire sur des faits de corruption et pratiques assimilées dessaisit l’Agence. Elle communique, à leur demande, aux autorités judiciaires les informations concernant les faits incriminés en sa possession ». Or, il a toujours été reproché aux juridictions actuelles d’être inféodées par les pouvoirs que visent les dispositions favorables à la transparence. Dès lors, il est légitime de craindre que le dessaisissement de l’Agence n’ait souvent comme conséquence l’extinction de fait de la procédure judiciaire lorsque celle-ci concerne une Haute Autorité.
Partant, face à la difficulté institutionnelle que pourrait poser la question de la création d'un parquet financier et surtout l'impact limité que cela pourrait avoir en pratique dans le scéma institutionnel actuel, , il pourrait être envisagé la transformation de l’ANLC en un organe ayant le pouvoir d’investigation, d’enquête, et de sanction. Il faudra pour ce faire qu’elle ait une capacité d’auto saisine, et/ou une saisine (sous certaines conditions), par certaines personnes physiques (en raison du statut qu’elles ont), ou morales (en raison du rôle qu’elles jouent en faveur de la transparence au sein de la vie publique). Le système judiciaire guinéen étant d’un seul ordre, les décisions de sanction que rendra l’Agence seront forcément soumis par la voie de la cassation à la Cour suprême. Ce qui permet de dire que la reforme institutionnelle devra également concerner la Cour suprême, d’autant plus qu’il est prévu qu’elle se prononce par la voie de la cassation sur les décisions de la Cour des comptes quand cette dernière sera mise en place (article 113 de la Constitution).
Du point de vue des normes, nous recommandons[29] l’adoption du projet de loi anti corruption préparé par l’ANLC. L’adoption permettra d’une part de s’appuyer sur une base juridique plus cohérente, et d’autre part, elle corrigera plusieurs carences du dispositif actuel. Il en est ainsi de l’article 36 de la Constitution qui mériterait d’être complété. En effet, le projet de loi ANLC dans ses articles 9 et 10 complète les dispositions constitutionnelles. Ainsi, l’alinéa 1er de l’article 9 du projet précise les dispositions de l’article 36 de la Constitution. L’alinéa 2 étend l’obligation de déclaration des biens aux hauts cadres de la fonction publique nommés ou élus. Ces derniers doivent déclarer à l’ANLC tous leurs biens, valeurs, avoirs et intérêts possédés par eux-mêmes et par leur conjoint au moment de leur entrée en fonction et à la fin de l’exercice de leur fonction. L’article 10 du projet de loi quant à lui dispose que toute personne non visée à l’article 9 [30], mais exerçant une fonction publique, est tenue de justifier de l'origine précise de ses biens, valeurs, avoirs et intérêts ainsi que de ceux de son conjoint, auprès de l'ANLC, si cette autorité lui en fait la demande.
B- Faire preuve de pédagogie : une condition de réussite
Si les évolutions sont souhaitées afin que le dispositif de transparence fonctionne efficacement, elles doivent pour réussir être conduites de façon pédagogique et inclusive.
D’un point de vue pédagogique, il s’agit de trouver un équilibre entre la nécessité de transparence et le devoir d’efficacité qui pèse sur les institutions. Pour ces dernières, l’objectif central demeure l’efficacité de leurs actions. Ainsi, la transparence ne doit pas être un sujet d’interrogations substantielles sur l’action que mènent les institutions. Elle doit de ce fait être un moyen et non une finalité, car l’exigence de transparence qui est en vogue, lorsqu’elle se généralise à l’excès, ne sera plus la quintessence de la démocratie mais plutôt son antipode[31].
Or, si en République de Guinée la transparence de la vie publique n’est pas encore appréhendée comme une finalité, elle pourrait très vite le devenir, car de plus en plus de voix s’élèvent pour réclamer non pas que les institutions fassent la lumière mais qu’elles soient faites par elle. Dès lors, c’est par leur degré de transparence qu’elles seront jugées avant tout, la performance et les autres conditions dans lesquelles elle est acquise ne devenant que secondaires. Ainsi, seul sera vu comme satisfaisant le processus de décision parfaitement transparent. Qu’importe s’il se révèle inapte à produire la moindre décision car nul n’osera prendre le risque de seulement l’esquisser[32].
Cette appréhension de la transparence pourrait ainsi nuire au bon fonctionnement des institutions, car pour être efficace l’action publique doit demeurer parfois secrète. Ainsi, l’objectif de la transparence ne doit pas être la remise en cause de toute forme de secret au sein de la vie publique, certains pouvant être utilement préservés, ou du moins partiellement. Le secret lié à la défense ne peut par exemple être vidé de toute sa substance sans compromettre la sécurité du pays, le secret lié à la conduite de certaines actions extérieures ne pourra non plus l’être sans réduire l’efficacité de ces actions.
Partant, comme le souligne le regretté Guy Carcassonne, il faut ramener la transparence de la vie publique à ce qu’elle doit être, c’est à dire un moyen, dont l’utilité comme la légitimité se mesurent à l’aune des objectifs qu’elle sert. A défaut, elle représentera une menace, car elle s’imposera d’elle-même et n’aura nul motif à s’arrêter ici ou là.
Au delà de la nécessité d’efficacité de l’action publique dont il faudra tenir compte, il faudra également intégrer la nécessité de concilier la transparence dans la vie publique aux autres principes, libertés, et droit garantis aux citoyens même lorsqu’ils sont des acteurs de la vie publique. Ainsi, on ne saurait au nom de la transparence vider de sa substance le droit à une vie privée reconnue au profit des acteurs publics.
Les évolutions éventuelles devront pour réussir être inclusives. En République de Guinée, les nombreuses études ont démontré que la réussite des projets ou programmes repose très fortement sur la mobilisation des acteurs de la société civile. Ainsi, les impliquer serait à la fois un facteur déterminant pour la sensibilisation des citoyens, mais aussi pour alerter les structures chargées d’assurer l’effectivité du dispositif.
Un rôle non moindre pourrait aussi être joué par certaines associations travaillant pour la transparence au sein de la vie publique, en l’occurrence l’Association Guinéenne pour la Transparence. Cette structure est l’interlocutrice privilégiée de l’Association «Transparency International ». A ce titre, elle pourrait mettre à profit l’expertise de ses membres afin de proposer des pistes de solutions.
[1] Sandrine BAUME « la transparence dans les affaires publiques, origine et sens d’une exigence », 2011.
[2] Ce régime qui s’est voulu différent du précédent en étant libéral et ouvert à l’international, avait adopté sous l’impulsion des partenaires internationaux des mesures devant encourager la bonne gouvernance et en filigrane la transparence.
[3] Artisan de l’indépendance guinéenne en 1958, il fût président de 1958 à 1984 (date de son décès). Son régime se caractérisait par un système de gouvernance oppressif, qui ne permettait pas une impulsion du phénomène par les partenaires internationaux - au nom de la souveraineté nationale -, et encore moins d’un mouvement interne favorable à la transparence. Il faut l’admettre cependant, au plan national les opinions sont plutôt positives vis-à-vis de ce régime quant à la gestion des biens publics - par les autorités publiques -, laquelle aux yeux de bon nombre d’entre eux ne se caractérisait pas par les scandales financiers qui ont émaillé le régime l’ayant succédé. Cet état d’esprit des citoyens peut toutefois s’expliquer par l’opacité totale qui caractérisait ce régime, en ce sens qu’il suffisait de poser une question concernant la gestion publique pour être considérée comme ennemi de la révolution. Pour plus de détails concernant ce régime, voir l’ouvrage d’Alpha Abdoulaye Diallo « Dix ans dans les geôles de Sékou Touré, ou la vérité d’un ministre », Harmattan, 2004.
[4] Décret D/068/PRG/CNDD/SGPRG/2010
[5] Ces dispositions constitutionnelles et bien d’autres seront analysées de façon plus détaillée dans la partie réservée à l’état du droit positif sur la transparence dans ce pays.
[6] Article 36 de la Constitution guinéenne de 2010
[7] Ibid
[8] Article 39 de la Constitution guinéenne de 2010.
[9] Voir l’étude d’AfriMAP et de l’Open Society Initiative for West Africa « Guinée - les organes de lutte contre la corruption », septembre 2013 p. 39.
[10] L’article 116 de la Constitution dispose notamment que la Cour des comptes est chargée de contrôler les déclarations tel qu’elles sont reçues par la Cour constitutionnelle. Il dispose également que la Cour des comptes certifie les comptes de campagne des partis politiques
[11] La Cour constitutionnelle est régie par les articles 93 à 106 de la Constitution guinéenne de 2010
[12] Les dispositions concernant ces juridictions sont analysées dans la partie B du I et dans la partie A du II
[13] La totalité des missions de l’Agence est accessible sur le portail internet de l’agence : www.anlcguinee.org
[14] Selon l’Agence les pratiques assimilées impliquent : i) la soustraction ou la tentative de soustraction de fonds publics ou privés, la destruction ou la tentative de destruction des actes, des titres ou tous autres objets auxquels les auteurs ont accès en raison de leur fonction ; ii) l'utilisation ou la divulgation sans autorisation, même après cessation de leur fonction, des informations confidentielles auxquelles les auteurs avaient accès en raison de celle-ci ; iii) l'utilisation de l'autorité conférée par la fonction pour servir abusivement ses intérêts ou ceux d'autrui ; iv) la prise ou la réception d'une participation de quelque nature qu'elle soit dans une entreprise publique ou privée dont l'auteur avait, en raison de sa fonction, la surveillance ou le contrôle, pendant un délai de cinq ans à compter de la cessation de celle-ci, sauf lorsque les capitaux sont reçus par dévolution successorale ; v) l'acceptation directement ou indirectement d'un cadeau ou de tout autre avantage pouvant mettre le bénéficiaire dans l'obligation morale d'accorder un traitement préférentiel ou spécial. Voir à cet effet le projet de loi anti corruption qui a été soumis au gouvernement par l’Agence.
[15] Avant ce décret elle dépendait du Ministère à la Présidence chargé du contrôle économique et financier
[16] Ce n’est évidemment pas un problème spécifique à l’Afrique, encore moins qui touche toute l’Afrique, fort heureusement. Le problème touche également certaines grandes puissances démocratiques.
[17] Rapport d’étude AfriMAP Open Society Initiative for West Africa « Guinée - les organes de lutte contre la corruption », septembre 2013, p. 31 à 33.
[18] L’analyse des articles 159 et 160 de la Constitution permet d’affirmer qu’il y’a un retard d’environ deux ans dans la mise en place de ces juridictions, et aucun élément n’augure une mise en place immédiate.
[19] Ibid
[20] Rapport d’étude AfriMAP Open Society Initiative for West Africa « Guinée - les organes de lutte contre la corruption », septembre 2013, p. 24.
[21] Rapport d’étude AfriMAP Open Society Initiative for West Africa « Guinée - les organes de lutte contre la corruption », septembre 2013, p. 26
[22] Articles 70, 71, 72, 75, 78 et 80 du Décret D/2012/132/PRG/SGG du 12 décembre 2012 portant organisation de la présidence
[23] Ibid
[24] La France qui a amélioré son arsenal juridique sur la transparence par l’adoption le 11 octobre 2013 des Lois (organique n° 2013-906 et ordinaire n° 2013-907) sur la transparence de la vie publique peut servir de référence dans ce domaine.
[25] Rapport d’étude AfriMAP Open Society Initiative for West Africa « Guinée - les organes de lutte contre la corruption », septembre 2013, p. 22
[26] Le projet de loi dans son intégralité est accessible en suivant ce lien : www.stat-guinee.org/BonneGouv/Pdf/loianticorrupt.pdf
[27] Rapport d’étude AfriMAP Open Society Initiative for West Africa « Guinée - les organes de lutte contre la corruption », septembre 2013, p. 27
[28] Ibid
[29] L’ONG Open Society for West Africa fait la même recommandation dans son étude consacrée à la Guinée, p.3.
[30] L’article 9 reprend et complète la liste de l’article 36 de la Constitution
[31] Guy carcassonne « Le trouble de la transparence », Revue pouvoir n° 97.
[32] Ibid.
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